mardi 8 juillet 2008

Récit de Dodo Kopold sur la disparition de Vlado Plulil sur le Broad Peak

Fin tragique pour l’expédition « Baltoro Express »
Le Slovaque Vlado Plulik a disparu le 27 juin dernier à la descente du Broad Peak (8047 m, Karakoram, Pakistan). Il était engagé avec son compatriote Dodo Kopold, jeune himalayiste très actif, dans une tentative d’enchaînement des quatre sommets de plus de 8000 m du Baltoro, baptisée « Baltoro Express ».
Au camp de base du K2, le 7 juillet, par François Carrel (journaliste) :

Jozef « Dodo » Kopold et Vladimir « Vlado » Plulik voulaient enchaîner en style alpin les Gasherbrum 1 et 2, le Broad Peak et le K2, les quatre sommets pakistanais de plus de 8000 m concentrés autour de la partie supérieure du glacier du Baltoro (Karakoram, Pakistan). Si ce quarté n’a jamais été réalisé, plusieurs enchaînements de 3 de ces 4 sommets ont par contre été réussis : par la cordée suisse Loretan-Ruedi-Sonnenwyl en 1983 (G2, G1 et Broad Peak), par la cordée italienne Benet-Meroi-Vuerich en 2003 (G2, G1 et Broad Peak), et par le Français Eric Escoffier, en 1985 (G2, G1 et K2).
Dodo Kopold a, à 28 ans, un long palmarès : fin grimpeur, il a ouvert des voies sur les tours de Trango, d’Uli Biaho et d’Haina Brack. Il s’est lance début 2007 sur les sommets de plus de 8000 m, qu’il veut tous gravir en style léger et rapide et sans oxygène d’appoint. Avant cet été, il avait déjà réussi le Cho Oyu, le Shishapangma par la face sud, le Nanga Parbat, et échoué au Dhaulagiri et au K2. Vlado Plulik avait pour sa part, à 45 ans, deux tentatives au Shishapangma et au Cho Oyu à son actif, ainsi que la première traversée intégrale, en hivernale solitaire, de la chaîne des Tatras, en Pologne.
Arrivés très tôt sur le Baltoro, les deux Slovaques se sont attaqué tout d’abord au G2, encore désert. Le 9 juin, Dodo Kopold parvient au sommet, par la voie française, Vlado renonce à 300 m du sommet. Le 16 juin, les deux hommes réussissent à toute allure le G1, en partant très léger du col Gasherbrum La. Le 20 juin, ils sont au camp de base du K2. Le premier créneau de beau temps qui s’annonce est très court, deux jours seulement, trop court pour le K2, la grande motivation de Vlado. « Je lui ai alors proposé de tenter le Broad Peak en express : il a été enthousiaste », raconte Dodo Kopold. « Il supportait mal l’inactivité du camp de base, et aimait plus que tout aller vite, léger, plein gaz… »
Ils partent dans la nuit du 24 au 25 du camp de base du K2. « Nous étions en pleine forme, parfaitement acclimatés : nous sommes montes très vite », précise Dodo : ils atteignent en fin de journée l’altitude de 7600 m sur le Broad Peak ! La trace est ardue, il y a beaucoup de neige fraîche, les deux hommes redescendent au camp 3 à un peu plus de 7000 m, où ils ont laissé leur tente dans l’après midi. Nuit confortable, grâce aux provisions et cartouches de gaz abandonnés là par une expé coréenne de 2007. Le 26 juin, ils repartent léger, pour une tentative en « single push ». Leur trace de la veille a disparu, et la trace est toujours aussi difficile. Arrivés vers 7600 m à nouveau, vers 11 heures du matin, ils décident de tenter de rejoindre directement le somment central du Broad Peak par le raide ressaut rocheux au dessus d’eux, au lieu de suivre l’itinéraire normal qui mène en légère traversée vers le col au nord du sommet central. « J’ai grimpé cinquante mètres ardus, raconte Dodo, puis Vlado m’a crié : ‘je n’ai pas de casque, c’est trop dangereux pour moi, je vais rejoindre la voie normale’. A ce moment, j’ai pensé le rejoindre, mais j’étais déjà bien engagé et la descente aurait été délicate. Je lui ait dit : ‘OK, on se retrouve au sommet !’ L’escalade en mixte était dure, avec quelques pas de bloc vraiment difficiles ou j’ai dû m’auto-assurer. A plusieurs reprises dans l’après midi, j’ai vu Vlado qui progressait, lentement. Il m’a fait des signes pour me dire ‘tout est OK’ . »
Ce jour là, l’alpiniste russo-canadien Valeri Babanov, tout juste arrivé au camp de base du Broad Peak, a observé la progression des deux hommes et leur séparation. Il a vu l’un des deux grimpeurs traverser vers le col, puis redescendre légèrement, d’une bonne cinquantaine de mètres avant de s’immobiliser pendant plusieurs heures. Ces observations concordent avec le récit de Dodo Kopold : « Vers 19h, j’étais presque sous le sommet après des difficultés de mixte allant peut être jusqu'à M5, lorsque j’ai vu Vlado pour la dernière fois. Il était environ 200 m de dénivelée sous le col, et creusait une grotte de neige pour bivouaquer. » Dodo sort au sommet central, puis parvient au sommet principal à la nuit tombante. Eprouvé et inquiet d’une descente de nuit, il bivouaque sans équipement 15 mètres sous la corniche sommitale. Au petit jour, il redescend par la voie normale, arrive bientôt à une centaine de mètres sous la grotte où Vlado a dû passer la nuit. « De la grotte, la trace de descente de Vlado était très nette, et comme il avait oublié sa frontale au camp 2, je suis sûr qu’il était descendu ce matin même. J’ai suivi sa trace de descente, il ne s’était arrêté ni au camp 3 ni au camp 2, puis sa trace disparaissait vers 6500 m, entre le camp 2 et le camp 1. » Cette descente de Dodo a été observée par plusieurs témoins. « A 6500, une grande pente de glace de 50 degrés environ, longue de 200 m et recouverte d’une fine couche de neige molle, ne pouvait garder la trace d’une descente, poursuit Dodo. Lorsque je suis arrivé au camp 1, un grimpeur biélorusse, arrivé le matin même, m’a assure qu’il n’avait pas vu Vlado. J’ai poursuivi la descente, jusqu’au dépôt où Vlado avait laissé ses chaussures à la montée. Elles étaient toujours là... Je l’ai attendu une heure environ, puis j’ai regagné de nuit, à bout de force et victime d’hallucinations, le camp de base où personne n’avait vu Vlado non plus ».
Dodo Kopold remonte au pied du Broad Peak le 28 au matin, mais la météo mauvaise ne lui offre aucune visibilité. Tout espoir s’évanouit : Vlado a sans doute dévissé dans la pente de glace. Le Français Christian Trommsdorff, passé par là quelques jours plus tard, confirme : « à la descente, sans corde, cette pente située au dessus d’une zone de crevasses ne pardonne pas la moindre faute de cramponnage : il est très difficile de stopper une chute. »
Très vite, Dodo Kopold a pris la décision de plier bagage, pour rejoindre en Slovaquie sa jeune femme et leur enfant de quatre mois. Au pays, la mort de Vlado est très mal reçue, Dodo Kopold est au centre de la polémique, d’autant plus qu’à l’automne dernier, au Shishapangma, son compagnon d’ascension Marek Hudak, slovaque lui aussi, a disparu dans des circonstances quasiment similaires, après une chute dont Dodo n’a vu que les traces.
Pour autant, il serait absurde de chercher à engager la responsabilité de Dodo Kopold dans la disparition de Vlado Plulik : la décision prise par les deux hommes de se séparer le 26 n’a rien de surprenant pour ces deux alpinistes éprouvés, qui grimpaient ainsi en toute connaissance de cause. « Nous nous étions déjà séparés sur le G1 et le G2, souligne Dodo Kopold, et nous ne nous étions de toute façon que très peu encordés durant l’expédition : Vlado était un grimpeur très indépendant. » Pour Christian Trommsdorff, « le choix de progression qu’ils ont choisi n’a rien d’anormal et ne saurait être jugé : ils grimpaient en amateurs, responsables et libres de leurs choix. » Malgré l’absence de certitudes sur les circonstances précises de la chute de Vlado Plulik, aucun des faits connus ne permet de conclure à autre chose qu’un simple et classique accident d’alpinisme.

Hugues et Dodo au Camp de base :